Faut-il y voir un présage ? L’anticyclone qui provoque cette semaine une intense vague de chaleur en Europe a été nommé Cerbère, en référence au redoutable chien à trois têtes gardant l’entrée des enfers dans la mythologie grecque.
Impossible, à ce stade, de prévoir l’étendue des calamités que réservent les prochains mois. Toujours est-il que l’été, qui débute à peine dans l’hémisphère Nord, convoie déjà un cortège de phénomènes climatiques extrêmes, et des températures inédites pourraient être enregistrées ce week-end. Les experts s’inquiètent de l’entrée du climat mondial dans une phase encore plus dangereuse et inconnue, due au dérèglement climatique auquel s’ajoute le retour du phénomène El Niño.
Sur le Vieux-Continent, l’Italie, l’Espagne et la Grèce suffoquent. Le mercure, qui a déjà dépassé 45 °C à Rome, à Naples et dans les Pouilles, pourrait grimper dans les prochains jours jusqu’à 48 °C en Sicile et en Sardaigne. Soit « potentiellement les températures les plus chaudes jamais enregistrées en Europe », selon l’agence spatiale européenne. La plus haute température actuelle a été mesurée à 48,8 °C à Floridia, en Sicile, en août 2021.
Mardi 11 juillet, la chaleur extrême a fait un mort en Italie, un ouvrier de 44 ans qui travaillait sous 40 °C à Lodi, près de Milan. L’Acropole d’Athènes, monument le plus visité en Grèce, a été fermée vendredi 14 juillet aux heures les plus chaudes. Les entreprises devaient également veiller à ce que leurs employés ne travaillent pas à l’extérieur entre midi et 17 heures.
Cette vague de chaleur, qui touche plus largement l’ensemble du pourtour méditerranéen, devrait au moins durer deux semaines, avec des températures maximales dépassant les 35-40 °C, avertit l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Au Maroc, qui subit une série d’épisodes caniculaires depuis le début de l’été, une alerte rouge à la chaleur a été émise pour plusieurs provinces, tandis que la Turquie est confrontée à des canicules, des incendies et des inondations simultanés.
Outre-Atlantique, plus de 100 millions d’Américains, soit un tiers de la population, sont sous le coup d’alertes à la chaleur. Le Texas, l’Arizona, le Nevada et la Californie s’attendent à des conditions potentiellement dangereuses pour la santé dans les jours qui viennent. Ce week-end, dans le désert californien de la vallée de la Mort, le mercure pourrait égaler voire dépasser la température de l’air la plus élevée jamais mesurée de façon fiable sur Terre, à savoir les 54,4 °C enregistrés au même endroit en 2020 et 2021.
Les Etats-Unis sont particulièrement éprouvés. Des inondations catastrophiques ont touché cette semaine l’Etat du Vermont, dans le Nord-Est. En juin, un tiers de la population suffoquait sous une forte pollution atmosphérique liée à la fumée des incendies au Canada, où plus de 570 feux sont toujours hors de contrôle et près de 10 millions d’hectares ont déjà brûlé. Plus au sud, le nord du Mexique a dépassé les 50 °C cette semaine, tandis que certaines régions de Chine, dont la capitale, Pékin, souffrent toujours de la canicule. Dans l’Arctique, une température inédite de 28,8 °C a été mesurée jeudi dans la commune de Gamvik, à la pointe nord de la Norvège.
Cette liste de records locaux pousse les moyennes mondiales vers de nouvelles extrémités. Le mois de juin a été le plus chaud jamais mesuré, avec 0,5 °C de plus que la moyenne 1991-2020, selon les agences européennes Copernicus et américaines NASA et NOAA. Puis, la première semaine de juillet a connu à son tour une chaleur sans précédent, tous mois confondus, selon des données préliminaires de l’OMM. Ce climat extrême « devient malheureusement la nouvelle norme », a rappelé, jeudi, dans un communiqué, le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas.
De telles valeurs ne sont « pas vraiment une surprise », juge Carlo Buontempo, le directeur du service Copernicus sur le changement climatique. La crise climatique liée aux activités humaines, et en particulier à la combustion d’énergies fossiles, rend les vagues de chaleur plus fréquentes, plus intenses et plus longues, de même que les sécheresses ou les incendies. A cette aggravation du réchauffement s’ajoute la fin du phénomène La Niña, qui avait duré trois années consécutives et diminué la température mondiale, et l’arrivée d’El Niño, depuis début juin. Ce réchauffement d’une partie de l’océan Pacifique équatorial, qui survient de manière irrégulière tous les deux à sept ans, se traduit généralement par une élévation des températures mondiales (environ 0,2 °C) et augmente le risque d’événements extrêmes dans de nombreuses régions.
Chaleur hors norme sur l’Atlantique Nord
En revanche, Carlo Buontempo est « frappé » par la vague de chaleur hors norme qui touche l’Atlantique Nord, bien au-delà des prévisions des modèles, contribuant à la flambée mondiale du thermomètre. « Voilà ce que nous réserve le futur : une superposition d’extrêmes venant de processus différents, en l’occurrence le réchauffement du Pacifique lié à El Niño qui s’additionne à celui de l’Atlantique, entraîné par des changements de conditions atmosphériques et océaniques, le tout dans un contexte de réchauffement climatique », ajoute le climatologue Robert Vautard, directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace. Le monde s’est déjà réchauffé de près de 1,2 °C depuis l’ère préindustrielle.
Cette surchauffe planétaire atteint de plein fouet les océans, qui absorbent environ 90 % de l’énergie accumulée dans le système terrestre. Les températures de surface dans la Méditerranée seront elles aussi « extrêmement hautes dans les prochains jours et semaines », parfois à plus de 30 °C, avec des valeurs de plus de 4 °C au-dessus de la moyenne, selon l’OMM. Dans le sud de la Floride, le thermomètre près des côtes dépasse les 32 °C, mettant en péril les coraux. A l’extrême sud du globe, la banquise de l’Antarctique a quant à elle atteint son étendue la plus faible pour un mois de juin.
Au moins 62 000 morts en Europe en 2022
Ce monde toujours plus chaud touche durement les sociétés humaines et les écosystèmes. L’été dernier, les fortes températures ont causé près de 62 000 morts rien qu’en Europe, selon une récente étude, un chiffre probablement sous-estimé.
Les canicules, sécheresses, incendies et inondations entraînent également chaque année de lourds dégâts économiques, tout en mettant en péril la sécurité alimentaire dans les pays les plus vulnérables. Les canicules marines, quant à elles, laissent présager des hécatombes animales et végétales.
« On est entrés dans un territoire inconnu, où notre connaissance du passé ne suffira pas pour comprendre le présent et prévoir le futur », prévient Carlo Buontempo. Sous l’effet d’El Niño, qui atteindra son intensité maximale entre décembre et janvier, 2023 ou 2024 pourrait détrôner 2016 comme l’année la plus chaude jamais enregistrée.
Et la barre de 1,5 °C de réchauffement, la limite la plus ambitieuse de l’accord de Paris sur le climat, pourrait être franchie temporairement. « Il y a urgence à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et à atteindre la neutralité carbone le plus rapidement possible, appelle le scientifique, mais aussi à développer les politiques d’adaptation à cette nouvelle réalité.
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