Début avril, la source qui alimentait une partie de la commune s'est tarie. En cette mi-août, elle ne donne plus qu'un demi-litre par seconde, soupire René Ugo, le maire (sans étiquette). Quant au forage dans la nappe phréatique : vide aussi. « C'est historique, on n'a jamais connu ça. » Pour éviter la coupure, un camion-citerne vient remplir le réservoir avec de l'eau pompée dans une bouche à incendie de la commune voisine, à 10 kilomètres de là. Tous les matins à 4 h 30, Daniel, 77 ans, entame son ballet aquatique, remontant huit fois par jour 7 500 litres d'eau en haut du village, au bout d'une piste rocailleuse et accidentée.
Restrictions d'eau et système D
Pour que tout le monde puisse avoir de l'eau, les 350 habitants concernés sont limités à 150 litres d'eau par jour et par personne. « Si c'était 3 000 usagers, ce serait un problème, il faudrait en amener des camions », reconnaît le maire. Entre le coût du camion-citerne acheté par la communauté de communes – « On a investi vu que ça risque de durer… » –, le salaire de Daniel et l'essence, chaque remplissage revient à près de 100 euros, beaucoup plus cher que de puiser à la source.
Les 60 000 habitants du pays de Fayence dépendent désormais tous de la même source, dont les maires surveillent avec inquiétude le débit, « en diminution constante ». Alors, pour préserver la ressource, la restriction de consommation a été étendue à tous les autres habitants du secteur, qui ont droit à 200 litres par jour chacun.
Dans sa petite maison en bas du vieux village, Charlyne, 72 ans, décroche de la porte du frigo la dernière lettre envoyée par le service des eaux, prévenant que ceux qui consomment trop verront leur facture doubler en représailles. Quarante ans qu'elle vit à Seillans, elle n'a jamais vu ça. « Je fais la vaisselle dans une bassine, puis je jette l'eau dans les trois pots de fleurs qu'il me reste. Je n'arrose plus le reste du jardin, tout a cramé. Et je ne tire pas la chasse systématiquement. »
« On est créatifs », sourit Martin, réceptionniste, qui habite dans le quartier ravitaillé au camion-citerne. Lui a la chance d'avoir une piscine, qu'il ferme la nuit et dès qu'il s'absente pour éviter l'évaporation, faute de pouvoir la remplir. « Mais elle arrive bientôt à la limite. » À l'hôtel où il travaille, les clients sont sensibilisés dès leur arrivée, invités à contribuer à l'effort collectif. Quant au restaurant, il fonctionne pour l'instant normalement.
À Seillans, on apprend en catastrophe à vivre avec le moins d'eau possible. Et gare à ceux qui ne jouent pas le jeu. La régie des eaux mène des contrôles et, outre une contravention, les récalcitrants se voient poser un réducteur de débit sur leur compteur, condamnés à vivre avec un filet d'eau seulement au robinet. Quatre-vingt-dix ont déjà été « pastillés », affirme René Ugo. « Certains consomment jusqu'à 50 fois plus que la moyenne ! » Des cas extrêmes et rares, car la pédagogie finit souvent par marcher.
« La nature était bien organisée, c'est fini »
N'allez pas dire au maire que la sécheresse en été n'a rien de nouveau dans le Var. Il pointera le vallon en bas du village, où se trouvait la bouchonnerie fermée dans les années 1970. « De l'eau y coulait presque toute l'année avant, les gens y pompaient même leur eau. Maintenant, il est à sec l'été, et l'hiver, il ne coule quasiment plus. C'est bien la preuve qu'il s'est passé quelque chose… »
Seillans se trouve aux premières loges du réchauffement climatique, soupire René Ugo, qui énumère les ingrédients du cocktail mortifère du nouveau climat local. « Il fait de plus en plus chaud, donc ça sèche davantage. Nous n'avons pas eu de vraie pluie depuis un an, la nappe est en train de s'épuiser. Et puis, avant, on avait de la neige plus haut, qui fondait l'été pour donner de l'eau. La nature était bien organisée, c'est fini. C'est un signal. »
Jamais, on ne pense qu’en Europe on puisse ouvrir le robinet et ne pas avoir d’eau qui coule.Martin, habitant de Seillans
Dans la commune, on craint que cette pénurie d'eau ne devienne la norme. D'autant que, à part la rustine du camion-citerne, les solutions sont limitées. La source dans laquelle s'approvisionne la communauté de communes pourrait aussi devenir inexploitable – même si elle coule, quand le débit devient trop faible, il faut en laisser une partie à la rivière pour préserver la biodiversité. Il y a bien une retenue artificielle non loin, dans laquelle on pourrait puiser. Mais elle sert déjà à produire de l'électricité, de réserve d'eau pour Cannes, Fréjus et Saint-Raphaël, et de base de loisirs.
Une évidence réapparaît à Seillans : l'eau est une ressource rare, et il faut plus que jamais la partager équitablement. « On voyait ça dans des pays lointains, acquiesce Martin, mais, jamais, on ne pense qu'en Europe on puisse ouvrir le robinet et ne pas avoir d'eau qui coule. On réalise que c'est un bien précieux. »
Le maire prévient : pour partager l'eau, il va falloir redéfinir l'ordre des priorités. Les humains doivent boire, comme les bêtes élevées et les plantes cultivées dans la région. « Le jardin exotique avec la pelouse verte, par exemple, il va falloir arrêter. » Les loisirs aussi devraient être revus, selon l'édile. « Peut-on avoir un golf bien vert quand à côté tout le monde se serre la ceinture ? » À l'évidence, les conflits d'usage vont se multiplier à mesure que la ressource se raréfie. Dans le village, assure Charlyne, les piscines des résidences secondaires font déjà grincer des dents. « Les gens sont devenus individualistes, constate René Ugo. Certains veulent leur pelouse verte sans se soucier des autres. Il faut réapprendre à être solidaire, car l'eau est un bien commun. »
Un litre sur cinq perdu
Seillans est loin d'être un cas isolé. Une centaine de communes subissent des pénuries d'eau potable, assure le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Dans le village voisin de Bargemon, on a vécu deux semaines sans eau, avec distribution de bouteilles. La nappe était tellement vide que la pompe puisait les sédiments. Le gouvernement a ouvert une cellule interministérielle de crise début août. « Ça fait depuis le début de l'été que c'est tendu, c'est bien que le gouvernement s'en rende compte », grince le premier adjoint de Bargemon, Christophe Sarkissian, qui appelle à un « plan national » d'adaptation.
Son homologue seillanais pointe une urgence, celle de rénover les canalisations pour réduire les fuites. Un litre d'eau potable sur cinq est gâché en France pour cette raison, relève un rapport de 2020 de l'Observatoire des services publics d'eau et d'assainissement – avec des cas extrêmes, comme en Guadeloupe, où l'état du réseau est tellement mauvais que les coupures d'eau sont quotidiennes. « Mais quels moyens vont avoir les collectivités territoriales pour se mettre rapidement à niveau ? » questionne René Ugo, pointant la baisse de subventions de l'État.
À Seillans, certains habitants estiment d'ailleurs que les fuites sont la cause de la pénurie. Faux, assure l'édile. « Ça fait vingt ans que je suis élu, on a refait toutes les rues du centre-ville et les réseaux en dessous. » Dans le quartier le plus tendu, une société a également été mandatée ces derniers mois pour repérer et colmater les fuites. « Les gens ne sont pas bien quand ils n'ont plus d'eau au robinet, c'est facile d'accuser les élus de mauvaise gestion. Ce n'est pas de ma faute s'il ne pleut pas ! »
Tomates séchées
Arpentant les routes de la commune au volant de son 4 x 4, Philippe, policier municipal dans le village depuis dix-sept ans, se désole devant l'état de la végétation. « Regardez les feuilles, les arbres n'en peuvent plus. Même les oliviers changent de couleur… » Plus bas dans le village, les jardins partagés ne sont plus arrosés. Les tomates encore vertes pendent sur leurs plants totalement desséchés. Les quelques orages d'été ne servent à rien : quand la terre est sèche, l'eau ruisselle plutôt que de pénétrer dans le sol. Il faudra attendre l'automne pour que la pluie, si elle se décide à tomber, puisse enfin remplir les nappes.
Sac sur le dos et carte à la main, deux touristes grimpent vers le cœur du bourg. « On n'a jamais vu autant de monde depuis qu'on voit le maire à la télé », note Philippe dans une poussée d'optimisme. Certains, raconte le policier municipal, viennent par erreur, pensant être à Sillans, à une trentaine de kilomètres de là. « Ils nous demandent où est la cascade. On a un beau village, mais pas de cascade. De toute façon, je ne vois pas avec quelle eau on la remplirait… »
1 commentaire:
Les autres villages vont leur payer les réparations des fuites .il faut qu’ils boivent le pastis sans eau par solidarité des pigeons des autres villages .
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