Cette affaire a été examinée par le Tribunal correctionnel de Draguignan du 22 au 25 novembre 2021.
Retour sur les faits par France Nature Environnement
En juin 2020, un réseau d’entreprises de terrassement, surnommé par la presse la « mafia des déchets » était démantelé dans le Var et dans les Alpes-Maritimes. Depuis 2017, ils déversaient des déchets de chantier, recouverts de terres, sur des sites non déclarés, principalement situés en zones naturelles et agricoles. Il s’agit d’un trafic de grande ampleur puisque sept sociétés sont impliquées ; onze personnes ont été mises en examen et de très nombreux véhicules ont été saisis. Des dizaines de milliers de mètres cubes de déchets et des hectares entiers sont concernés sur 18 sites identifiés.
Le fonctionnement du trafic
Le réseau démantelé organisait des « déballes », c’est-à-dire des déversements de déchets du BTP (terres, gravats, déchets de démolition, bitume, plastique, métaux…), sur de multiples sites.
« Ouvrir une déballe » consiste à trouver un site – public ou privé – sur lequel déverser des déchets de chantier. Dans la présente affaire, les prévenus en faisaient payer l’accès à différentes personnes physiques ou entreprises qui souhaitaient se débarrasser de déchets à moindre coût, en dehors des circuits légaux de traitement.
De nombreux propriétaires privés se sont ainsi laissés avoir par ce réseau mafieux : à la recherche de terre pour de petits aménagements sur leurs parcelles, ils répondaient à des annonces sur le bon coin ou sur Facebook pour obtenir de la terre végétale. Alors que quelques camions étaient attendus par les propriétaires, ce sont des centaines de camions qui venaient finalement déverser des déchets sur leurs propriétés. Plusieurs personnes ayant essayé de s’opposer à ce flux incessant de camions ont été menacées de mort.
L’ampleur du trafic
Dix-huit prévenus sont poursuivis pour 2 infractions au titre du code de l’environnement : abandon et gestion irrégulière de déchets en bande organisée (article L.541-46 code de l’environnement), mais également pour de nombreuses infractions au titre du code pénal : escroquerie en bande organisée, menace de mort, de crime ou délit sur un officier public, extorsion par violence, travail dissimulé par dissimulation d’activité et par dissimulation de salariés.
Outre les atteintes graves à des personnes physiques ou à leurs propriétés, les prévenus ont impacté l’environnement de manière irréversible et donc les intérêts collectifs défendus par nos associations. En effet, les infractions environnementales ont touché 18 sites, répartis sur 2 départements (Var et Alpes-Maritimes), principalement sur des parcelles classées naturelles (N) ou agricoles (A) dans les documents d’urbanisme. Sur certains de ces sites, l’atteinte environnementale est d’autant plus grave qu’ils étaient protégés du fait de leur grande valeur écologique. Plusieurs zonages protecteurs ont ainsi été bafoués : Natura 2000 (2 sites), espaces boisés classés (2 sites), Réserve naturelle nationale de la Plaine des Maures (2 sites), zone de sensibilité majeure pour la Tortue d’Hermann (deux sites) ainsi qu’un site classé. Mais ce n’est pas tout, des sites du Plan de Prévention des Risque Inondations (5 sites) ou encore d’un site projet de périmètre de protection d’une source de production d’eau potable (1 site) sont également concernés.
L’estimation des sommes illégalement perçues grâce à ce trafic est difficile à évaluer mais le bénéfice pour chaque prévenu atteint des centaines de milliers d’euros.
Les peines encourues pour l’ensemble de ces infractions peuvent aller jusqu’à 10 ans de prison et un million d’euros d’amende, outre les dommages et intérêts et frais de remise en état des terrains impactés.
La gravité des infractions
Sur certains sites, une pollution avérée résulte de ce stockage illégal de déchets. Par exemple, sur le site du Château du Thouar, l’enquête a révélé une pollution de 240 tonnes de terre à l’arsenic et au plomb alors même que des vignes ont été plantées sur certaines parcelles.
« Le coût environnemental est inestimable »
Patrice Camberou – Procureur de Draguignan en charge du dossier
Sur plusieurs sites, le stockage de déchets et les exhaussements afférents ont entraîné une disparition totale du couvert végétal, et des arbres, ensevelis et donc asphyxiés sous les déchets. C’est le cas par exemple pour le site du Château de Thouar où plus de 6000 m² de bois ont été défrichés ou encore sur les parcelles de Saint-Jeannet où le dépôt des déchets inertes sur un espace forestier a entraîné la destruction complète d’un boisement âgé de plus de 50 ans.
La remise en état des sites impactés est nécessaire. Des données chiffrées sur certains sites permettent d’estimer que la remise en état coûterait entre 150 000 euros et 3 000 000 euros par site.
L’impact sur la biodiversité, que ce soit la faune ou la flore, sur les paysages, sur la stabilité des sols ou encore sur l’écoulement des eaux est toutefois irréversible et donc dramatique.
Notre rôle dans l’affaire
Nous avons décidé de nous porter partie civile dans le dossier :
- Cette affaire est majeure au sens où elle révèle des manœuvres illégales extrêmement impactantes pour l’environnement. La portée de ces actes dépasse largement le cadre départemental et met en lumière les dysfonctionnements de la filière d’évacuation et de traitement des déchets du BTP que nous connaissons malheureusement trop bien en région.
- Il s’agit d’un sujet historique pour notre fédération. Beaucoup de nos bénévoles sont engagés pour la lutte contre ce type d’agissements et participent à la veille sur le terrain. Certains ont d’ailleurs donné l’alerte aux autorités sur des sites concernés par l’enquête.
- Les actions portées au quotidien par notre association sur le sujet de la prévention et de la gestion des déchets (sensibilisation, formation, journées d’échange, plaidoyer,etc.) sont nombreuses. Aussi, les prévenus, en agissant de la sorte nous portent préjudice et mettent à mal les efforts que nous déployons pour faire avancer le sujet sur les territoires.
Les réquisitions du parquet
Le réquisitoire détaillé de la Procureur a particulièrement souligné les impacts environnementaux et a demandé la remise en état de tous les sites aux frais des prévenus.
D’après la Procureur, les peines doivent sanctionner, permettre de réparer et doivent aussi dissuader les prévenus de recommencer et les autres de recourir aux mêmes méthodes et infractions.
Les peines doivent être prononcée à la hauteur de la gravité des infractions et des enjeux environnementaux. Ce n’est pas parce qu’il est question d’environnement que c’est moins grave que des infractions financières, que du trafic de stupéfiants, ce n’est pas parce que c’est l’environnement qu’on pourrait se contenter de petites amendes.
Les peines pour les sociétés vont de 100 000 à 500 000 euros d’amende avec des peines complémentaires (interdiction de percevoir des aides publiques, de répondre à des marchés publics pendant 5 ans et confiscation des biens saisis notamment les engins et véhicules).
Les peines pour les particuliers vont de 3000 à 80 000 euros d’amende assorties pour certains de peines de prison (fermes et avec sursis).
Par ailleurs, afin qu’il y ait une remise en état de tous les sites réalisée par l’Etat, demande de consignation de sommes de 3 450 000 euros répartis entre tous les prévenus, entreprises et personnes physiques.
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