mardi, mars 07, 2023

Sécheresse: "On n’est pas irrigués par des canaux magiques", prévient l'hydrologue Emma Haziza

Le cycle de l’eau met en lien le ciel et le sol profond, grâce à la végétation. Et le pilier de notre ressource en eau, ce sont les nappes souterraines. L’hydrologue Emma Haziza les appelle "notre système immunitaire".

Docteur de l’École des Mines de Paris et experte des stratégies de résilience des territoires face aux risques climatiques, Emma Haziza ne cesse de décrypter les systèmes complexes qui conditionnent notre accès à une ressource naturelle vitale. Le 19 mars, elle sera à Vence, invitée au Salon Eco-habitat, pour parler d’adaptation dans les territoires.

Cet hiver est marqué par le manque de pluies. L’heure est-elle à chercher des solutions?

J’observe une modification du discours, j’ai le sentiment d’une vraie prise de conscience du risque, derrière la raréfaction de la ressource en eau. Le discours de Christophe Béchu [ministre de la transition écologique] fait état de 1300 à 1500 communes qui pourraient être privées d’eau potable. Que faire s'il s'agit de grandes communes, si les camions-citernes ne suffisent plus? Ce sont des questions qu’on doit se poser.

On a beaucoup parlé d'énergie ces derniers temps, mais trouver des solutions sur l’eau est crucial, car une grande partie des énergies s’appuie sur l’eau en France. A part l’éolien et le solaire, toutes les autres formes ont besoin d’eau et massivement. Même le pétrole, le gaz, les centrales nucléaires, les barrages hydroélectriques qui font grise mine actuellement.

Où est-on, en cette fin d’hiver?

Pour les nappes phréatiques, la phase de bascule se situe environ au 15 mars. Cela veut dire que d’ici 15 jours, va commencer ce qu’on appelle la vidange des nappes phréatiques.

Les nappes se vident, car la végétation commence à renaître et, de proche en proche, l’eau va être soutirée des nappes.

Si vous avez des précipitations après cette bascule, cela alimentera les premières couches du sol, mais pas les nappes profondes. Sauf s’il y a des quantités extraordinaires de pluie… avec des inondations.

sécheresse sol végétation Luc Boutria.

Quel est le lien entre la recharge des nappes et la disponibilité de l’eau?

Les nappes sont une sorte de tapis de protection. Quand vous voyez de l’eau dans les rivières, alors qu’il n’y a pas eu de précipitations, cela vient des nappes qui redonnent leur eau aux rivières. Elles alimentent aussi l’humidité présente dans les sols. Quand on a une précipitation, les trois-quarts repartent dans l’atmosphère tout de suite, seulement 9 % pénètrent dans les sols et rejoignent les nappes. Le reste ruisselle.

Et quand les sols sont devenus imperméables?

C’est très simple. Pour pouvoir se faire, un cycle de l’eau a besoin de passer par différents réservoirs. Lorsque vous avez une imperméabilisation massive des sols, vous ne donnez plus à l’eau la possibilité de rejoindre les nappes phréatiques. Donc on perd cette capacité d’absorption, une sorte d’éponge. On a oublié d’intégrer le cycle de l’eau dans la construction des villes.

Plus vous imperméabilisez, plus vous empêchez l’eau de se connecter au sol. Il va falloir enlever du bitume, passer à d’autres modèles.

Quand on a moins d’eau, il faut jouer intelligemment avec le cycle de l’eau et réussir à la récupérer.

Une partie de l’agriculture irriguée s’appuie sur une eau amenée par des canaux. Peut-on parler d’une "eau sécurisée"?

Nous avons un taux d’enneigement extrêmement faible, une absence de pluie dans des périodes cruciales, donc si on ne change pas nos pratiques, on se trompe. On n’est pas irrigués par des canaux magiques.

On est passé à la limite d’une crise l’année dernière sur le canal de Provence. Si cela avait duré 15 jours de plus, on aurait pu arriver à la limite du système.

Posons-nous les questions. Il faut arrêter de croire qu’on est capables de tout contrôler avec l’ingénierie. Cela se saurait si on était capables de contrôler l’eau dans la nature.

Que pensez-vous de l’arrosage des vignes?

On n’a jamais irrigué nos vignes, on rend nos vignes moins résistantes face à la question de l’eau, et même fainéantes. S’il y a un goutte-à-goutte, c’est un modèle qui reste intéressant, car c’est une irrigation de précision. Mais à force d’alimenter la plante, on en oublie le sol. Même s’il existe des solutions plutôt pertinentes, pour éviter d’utiliser massivement l’eau des nappes, il y a toujours un pendant.

Vue aérienne fleuve Le Var (06), février 2023 Drone Sébastien Botella.

Dans ce contexte, comment agir au niveau individuel?

Pour faire des économies d’eau à notre échelle, il y a plein de choses à faire, surtout dans vos départements, où on n’est pas tous égaux. À 30 km d’écart vous êtes dans la plaine du Var, avec des eaux de la nappe alluviale, ou bien vous vous retrouvez dans une zone avec un camion-citerne. Malgré tout, on doit faire des économies. Mettre des mousseurs dans nos robinets, des réducteurs de débit dans les douches. Il existe des solutions pour réutiliser l’eau des douches pour les toilettes, ou mettre une brique [dans le réservoir d’eau, ce qui diminue le volume de la chasse].

Et au jardin?

Récupérer l’eau de pluie, refaire venir la biodiversité, arrêter d’imperméabiliser, de mettre des pavés partout sur la terre, notamment devant nos entrées de garage. Cela recrée de tout petits cycles qui font repartir le cycle de l’eau. Il faut des couverts, des zones enherbées, des haies. Le sol est un écosystème. N’oublions pas que le premier utilisateur de l’eau est la nature et les systèmes vivants.

Le Salon Eco-habitat à Vence (06) "Comment économiser l’énergie et l’eau, les solutions" est organisé les 18 et 19 mars, gymnase Dandréis à Vence, avec 40 exposants : énergie solaire, construction en bois, épuration des eaux, utilisation des eaux grises, isolation et matériaux naturels, plantes résistantes à la sécheresse, collectif citoyens…

Samedi 18 mars > Gestion de l’eau de pluie > Construire en chanvre > Tri des biodéchets > Modifier l’éclairage public pour préserver la faune sauvage et réaliser des économies d’énergie > Conception bioclimatique de l’habitat > Benjamin de Molliens, éco-aventurier : La transition écologique par l’exemple. En partant d’un petit geste, des actions écologiques simples mais impactantes (16h30).

Dimanche 19 mars > Dorothée Moisan, journaliste : Portraits d’écologistes inspirants dans son livre Écoptimistes (10h30) > Éco-habitat bioclimatique autonome > Qu’est-ce qu’une société coopérative d’énergie? > Emma Haziza, hydrologue : Adaptation au défi climatique (14h30). Entrée gratuite

  www.nicematin.com Sonia Bonnin

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