À
l’occasion d’une table ronde organisée au château Minuty, quatre
professionnels des domaines viticoles ont livré pour « Propriétés Le
Figaro » leurs analyses sur l’évolution du secteur.
En guise
d’introduction, Michel Veyrier plante le décor : « L’essentiel du marché
viticole français se concentre sur l’Aquitaine et les trois vignobles
méditerranéens, c’est-à-dire, le Languedoc, le Rhône et la Provence, les
autres transactions étant plus confidentielles ». Ce marché spécifique
a-t-il été impacté par les différentes crises économiques ? Thibaud
Desprets est catégorique : « Le marché se porte bien depuis maintenant
3, 4 ans avec un intérêt accru pour le vignoble provençal grâce aux
investisseurs français et internationaux. En volume, à 89 % le vin de
Provence est du rosé. C’est un vin émergent dont le potentiel est
reconnu bien au-delà de nos frontières. En Provence, nous sommes passés
d’un investissement plaisir à un investissement productif puis
maintenant stratégique. Il y a des parts de marchés à conquérir. Le
potentiel de création de marque est important ce qui explique que des
acteurs émergents achètent des vignes. » Stéphane Paillard abonde en ce
sens et apporte ses nuances : « Sur les beaux produits, le marché est
globalement stable. C’est un investissement de bon père de famille,
véritable valeur refuge. L’évolution est l’arrivée en force des
investisseurs professionnels même si la clientèle de néo-vignerons est
toujours présente. Sur les autres régions, les grandes opérations phares
à Bordeaux, les Margaux, Saint-Julien, Saint-Estèphe, Pessac,
Saint-Émilion… sont des appellations qui se portent bien avec une
demande et des prix toujours soutenus. La même chose en Côte-de-Beaune.
Le marché est constant. Les terroirs rares sont des niches qui
progressent régulièrement. » Des tendances apparaissent cependant au fil
du temps. « Outre le développement de centres de spa, de beauté…
l’autre tendance concerne le néo-vigneron qui se diversifie en voulant
des oliviers, des truffiers, des plantes médicinales. C’est un choix
économique de ne pas tout miser sur la vigne et de compter sur d’autres
débouchées », souligne Sylvie Terrier.
UNE CLIENTÈLE INTERNATIONALE
Quel
est le profil des acquéreurs des propriétés viticoles ? Pour nos
intervenants et Sylvie Terrier en tête, la clientèle est essentiellement
française. Au niveau international, il y a aussi des Britanniques et
des Russes. Stéphane Paillard indique que depuis les incertitudes liées
au Brexit, « des Anglais ont demandé d’accélérer les ventes de leur
propriété ». Il y a bien sûr une clientèle asiatique très présente sur
les grands projets de développement nationaux de marque. « À Bordeaux,
les Chinois souhaitent véhiculer l’image d’un château reconnu et
commercialiser ses vins. Ils veulent aussi constituer des équipes,
acquérir un savoir-faire, puis développer leur propre vignoble chez eux
», précise-t-il. S’appuyant sur une étude, Michel Veyrier enfonce le
clou : « Sur 100 propriétés reprises par les Chinois en France, il y a
18 mois, 96 concernent le marché bordelais. Cela continue et dépasse le
cadre des petites opérations. Premier pays producteur, premier pays
consommateur dans les cinq ans qui viennent. C’est une nouvelle donne à
prendre en compte ».
LES FONDAMENTAUX POUR INVESTIR
En
attendant de récolter les fruits d’un investissement, et quelle que soit
sa nationalité, acheter une propriété viticole ne s’improvise pas. Pour
Michel Veyrier, « les fondamentaux sont de ne pas acheter trop gros et
réfléchir de façon positive en se positionnant sur des appellations
respectées. Il faut quelque chose qui soit à la dimension de
l’investisseur. Le marché est en permanence en mouvement ». Thibaud
Desprets considère que si chaque domaine à sa caractéristique, les
fondamentaux restent « un domaine avec un vignoble de 15 à 20 hectares
et une capacité de production de l’ordre de 100000 bouteilles. La
priorité doit être le vin, un terroir à travailler. Et ensuite
diversifier. Certes, le rosé représente 89 % de la production en
Provence. Mais il y a un potentiel aussi sur les rouges et les blancs.
L’idéal est de travailler sur les trois couleurs et de prendre en compte
la situation du domaine dans son environnement ». Stéphane Paillard est
plus philosophe : « Il faut faire en sorte que la peine ne dépasse pas
le plaisir. La réussite d’un investissement, c’est de pouvoir
s’épanouir. On oublie trop souvent que le vin est le fruit de l’addition
de nombreux détails. Si l’investisseur n’est pas bien, le vin sera
technologique, dénué de toute âme. C’est important pour un particulier
mais aussi pour une entreprise. Il faut prendre en compte le travail et
l’emplacement, le terroir, le vignoble et anticiper aussi la revente ».
En ce sens, l’aspect financier est déterminant. Sylvie Terrier témoigne :
« Il y a des domaines à 800 000 €, mais à ce prix-là vous n’avez ni la
jolie propriété ni le joli terroir, ni la cave et le matériel. Il faut
d’abord définir le budget, ne pas acheter tout et n’importe quoi. » En
guise de fondamentaux, Michel Veyrier ajoute comme critère de bon achat,
la ressource en eau.
OPPORTUNITÉS ET PERSPECTIVES
Dans le
domaine viticole, les perspectives sont au beau fixe et il y a des
terroirs en devenir. « L’histoire du rosé de Provence n’est pas
terminée. Il est en phase avec les gastronomies asiatique, mexicaine… La
marque Provence est reconnue à l’international. Elle correspond dans
l’imaginaire collectif à un véritable art de vivre », souligne Thibaud
Desprets. Même si cela prend plusieurs années, les opportunités existent
toujours et ce, quelles que soient les régions. Stéphane Paillard cite
notamment « la fantastique petite zone Sainte-Victoire avec ses villages
et un potentiel de qualité », sans oublier les valeurs sûres du
bourgogne et du bordelais notamment. De son côté, Sylvie Terrier croit
beaucoup aux terroirs un peu isolés, au vin de niche avec de petites
commercialisations. Quant à Michel Veyrier, il cite Puisseguin, les
périphéries de Montpellier, de Toulouse et met en avant notamment le
Ventoux, « très recherché et peu cher ». En guise de conclusion, les
intervenants font preuve d’optimisme avec la fiscalité incitative pour
la clientèle française. Sylvie Terrier croit au retour d’expatriés « qui
veulent revenir et réinvestir en France dans le cadre d’achat
patrimonial ». Les acheteurs français souhaitent « s’offrir une seconde
vie », ajoute Michel Veyrier. Stéphane Paillard estime qu’au-delà des
aspects financiers, il y a une démarche, une recherche personnelle de la
sérénité, très tendance et bien dans l’air du temps. « Le retour aux
sources, le retour aux valeurs fondamentales de la vie. Car la vigne est
un cycle long ».
Il faudrait ajouter que le consommateur de rosé de Provence n'est pas du tout rancunier, lorsque l'on a connu les horreurs servies sous ce vocable durant des décennies. D'accord, les choses ont changé, mais pas toutes. Réjouissons nous de cette nouvelle mode en faveur d'un vin "local" mais il ne faudrait pas trop se gargariser à bon compte : ce genre de vin peut demain être submergé par des produits étrangers bien moins chers. Et au moins aussi bons.
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Il faudrait ajouter que le consommateur de rosé de Provence n'est pas du tout rancunier, lorsque l'on a connu les horreurs servies sous ce vocable durant des décennies. D'accord, les choses ont changé, mais pas toutes. Réjouissons nous de cette nouvelle mode en faveur d'un vin "local" mais il ne faudrait pas trop se gargariser à bon compte : ce genre de vin peut demain être submergé par des produits étrangers bien moins chers. Et au moins aussi bons.
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