Malbouffe, pollution des sols et de l’air, maltraitance des animaux,
nuisances sonores olfactives… Les accusions envers le monde agricole ne
manquent pas. Si bien que le mot « agribashing » est apparu et est
repris en boucle par les paysans et certains de leurs représentants pour
exprimer leur malaise. Les agriculteurs français s’estiment dénigrés,
déconsidérés, maltraités. À tel point que le 3 octobre 2019, Demeter,
une cellule pilotée par la gendarmerie nationale du suivi des atteintes
au monde agricole, a été mise en place. Les racines du malaise de
l’agriculture sont profondes.
Perte d’influence et de pouvoir
Il y a d’abord une perte d’influence et de pouvoir. Au début des années
50, la France comptait plus de 5,6 millions d’agriculteurs (salariés et
non-salariés) ; près de 3 personnes sur 10 travaillaient alors la terre.
Aujourd’hui c’est moins de 750 000 soit 2,6% de l’emploi total, une
division par plus de 10. Coté participation à la création de richesse
nationale, la part de la valeur ajoutée de l’agriculture dans l’ensemble
de l’économie française est passée de 18 à 2% aujourd’hui ; la tendance
est donc quasiment la même que pour l’emploi. Cette moindre
représentation fragilise le secteur, moins fort politiquement car moins
présent : dans les années 50, un maire sur deux était agriculteur,
contre 13,6% aujourd’hui (un chiffre qui grimpe à 20,2% en ajoutant les
retraités agricoles). Les agriculteurs sont de fait de plus en plus
concurrencés dans l’accès aux responsabilités par l’arrivée de nouvelles
populations dont le regard sur la campagne n’est pas le même que le
leur. Espaces résidentiels, récréatifs (avec le développement du
tourisme vert), de lieux de chute pour passer sa retraite pour les uns,
espaces de production et sources de revenus pour les autres.
L’incompréhension est totale et la multiplication des arrêtés
anti-pesticides est vécue comme une attaque en règle.
Perte de compétitivité
Deuxième source du malaise agricole, sa perte de compétitivité. La part
de marché mondiale de l’agriculture française a été divisée par deux
depuis le début des années 90 pour tomber à à peine plus de 4%.
Désormais, l’Allemagne et les Pays-Bas ont des parts de marché
supérieurs à celle de la France qui a glissé de la 2ème place des
principaux pays exportateurs agricoles au début des années 80 à la 6ème.
Pendant longtemps, l’indicateur phare de la puissance agricole
française résidait dans sa performance à l’exportation, mesurée à
l’aulne de ses confortables excédents. Des excédents qui ont fondu,
divisé par deux depuis 2013. Pire encore, la France a été déficitaire
courant 2017. Cette cassure historique est d’abord liée à la diminution
des excédents avec l’Union européenne et à la montée de la concurrence
avec de nos principaux voisins — allemands, néerlandais, espagnols,
britanniques et, depuis peu, de ceux venus d’Europe de l’Est. Trois
facteurs jouent de concert :
1. des charges élevées. La France est en compétition avec des pays dont
les coûts du travail sont inférieurs — Allemagne, Espagne, Italie —
voire très inférieur comme la Pologne. Sans compter les pratiques
déloyales du dumping social ;
2. une tendance à la sur-réglementation entraînée par la sur-transposition des normes européennes ;
3. et enfin, des fragilités structurelles. La forte atomisation des
acteurs agricoles ne leur permet pas — ou moins que leurs concurrents –
de jouer sur les économies d’échelle et donc sur les gains de
productivité ce qui les freinent dans leur conquête des marchés
internationaux.
Des revenus faibles et accrochés aux subventions
Troisième source de malaise, l’affaiblissement du lien — pour ne pas
dire sa disparition — entre le travail de l’agriculteur et son revenu,
en termes de niveau et de composition. Parmi les non-salariés du secteur
agricole, 1 sur 5 dispose d’un revenu moyen de 560 euros par mois. Le
revenu mensuel moyen est de 1 340 euros : c’est en dessous du SMIC
mensuel brut qui est de 1 521 euros. Et la proportion des exploitations
françaises qui auraient un résultat opérationnel négatif sans les
subventions était de 22?% en 2017, tous secteurs confondus. Les rapports
déséquilibrés avec l’aval, groupes industriels et grande distribution,
ne sont pas étrangers à cette situation.
Pertes d’influence politique, conflits avec les nouveaux arrivants dans
les campagnes, perte de compétitivité, revenus faibles et accrochés aux
subventions sur lesquelles les paysans n’ont pas de prise et sont pieds
et mains liés… : le malaise paysan est profond. Face à la machine de
guerre de l’agriculture capitalistique des concurrents, il manque à
l’agriculture française une vraie stratégie. Son choix de l’entre deux
est aujourd’hui perdant sur les deux tableaux : celui des marges et de
la compétitivité.
Source: Xerfi Canal Alexandre Mirlicourtois
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