vendredi, septembre 09, 2022

« La sécheresse montre l’épuisement d’un modèle d’aménagement », Emma Haziza, hydrologue

sourcs le moniteur  et
euractiv.fr Par : Hugo Struna | EURACTIV France

« Nous avons besoin d’un réveil global », selon l’hydrologue Emma Haziza – EURACTIV.fr

La sécheresse frappe la France et l’Europe de façon inédite. Pour la première fois, les nappes phréatiques sont déficitaires en début d’été. L’hydrologue Emma Haziza revient pour EURACTIV France sur l’étendue des dégâts et appelle à transformer en profondeur notre modèle agricole pour préserver la ressource en eau.

Emma Haziza est hydrologue, fondatrice et présidente de Mayane, un centre de recherche pour la résilience et l’adaptation des territoires face aux risques majeurs et au changement climatique.

EURACTIV : Vous dites dans un Tweet daté du 21 juin que nous n’avons jamais abordé l’été avec aussi peu de réserves en eau… Quelle est l’ampleur de la sécheresse en cette fin juin 2022 ?

Emma Haziza : Cette année est inédite, car nous sortons d’une sécheresse hivernale, avec quatre mois sans pluie, à part quelques millimètres qui ont très vite été repris par la végétation sans pouvoir rejoindre les nappes.

De 2017 à 2019, années de sècheresse intense, la situation était différente. Nous commencions l’été avec des recharges en eau excédentaires. La canicule a plongé le territoire dans un important stress hydrique au niveau des sols, des rivières et de nos nappes phréatiques. En ce moment, presque toutes les nappes du pays sont déficitaires. 70 % d’eau en moins cet hiver par rapport à la normale, selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Nous avons quitté les variabilités climatiques naturelles pour entrer dans une tendance nouvelle où la première conséquence est le manque d’eau.

Un manque d’eau qui frappe également les zones tempérées que l’on pensait épargnées, en particulier dans le nord de l’Europe…

C’est aussi quelque chose de nouveau. Certaines zones que l’on pensait épargnées sont de plus en plus impactées. Aujourd’hui, la Belgique démarre son été avec 95 % des sols en état de sécheresse sévère. Un scénario prévoit 45 000 morts annuels en Allemagne à cause des canicules et des vagues de chaleur dans les dix prochaines années. Nous assistons à des départs de feu dans le nord de la France !

Nous devons agir très vite pour changer nos modes de fonctionnement. Il y a trop d’utilisateurs de l’eau, il va falloir faire des choix. Le lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), très affecté par la sécheresse, se trouve déjà face à de grandes interrogations : faut-il y maintenir l’eau pour les activités touristiques, très importantes économiquement, ou la mettre à disposition des activités agricoles qui nourrissent la population ? Ce sont les prémices des guerres de l’eau que nous allons connaître en France.

Une solution très controversée consiste à capter l’eau en profondeur pour la stocker en surface dans des méga-bassines, afin de la mettre à disposition des agriculteurs en été. Que pensez-vous de cette stratégie préconisée par la FNSEA et soutenue par l’Etat ?

C’est la pire des solutions. Il faut déjà faire la différence entre les retenues collinaires qui permettent de retenir l’eau qui s’écoule, pouvant servir à l’irrigation, et le fait d’aller prélever dans les nappes pour faire des réserves. Une nappe est très fragile, se recharge difficilement : les deux-tiers de la pluie qui tombe au sol (65 %) retourne dans l’atmosphère, et seulement 9 % de l’eau pénètre jusque dans la nappe.

Avec ce dispositif, nous sommes en train d’extraire plus d’eau dans les nappes que leur capacité de recharge. En France, l’impact reste mesuré, car nous étions un pays tempéré il y a encore cinq ans, mais si vous allez en Inde, certaines nappes sont passées de cinq mètres de profondeur à 500 mètres à cause des prélèvements. Même chose en Californie.

De plus, les nappes phréatiques ont des connexions avec les rivières. Lorsque nous voyons un cours d’eau en période de sécheresse, c’est qu’il est alimenté par la nappe. Chose qu’elle ne peut plus assurer si son niveau descend trop. Et si la nappe ne soutient plus le cours d’eau, il se retrouve à sec. Cela a de terribles conséquences sur les écosystèmes.

Parmi les mesures à prendre le plus vite possible, il y a la refonte totale de notre modèle agricole. Comment nos paysans peuvent-ils sauver l’eau ?

Il faut d’abord réhydrater la terre, y remettre de la vie, en particulier du microbiote. Nous savons qu’il y a plus de bactéries dans notre corps que de cellules humaines. Sans nos bactéries, nous n’existerions pas. C’est la même chose pour le sol. Or, en tuant les invertébrés avec des pesticides notamment, on vient tuer la capacité d’un sol à s’oxygéner, à renfermer du carbone et à s’hydrater.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, nous pouvons recréer de petits cycles de l’eau localement avec de bonnes pratiques. Dans un sol hydraté, la transpiration (la rosée) va créer des masses d’air humides qui finissent par retomber 100 kilomètres plus loin. C’est un cercle vertueux qu’il faut enclencher. Ce n’est pas le réchauffement climatique qui créé la sécheresse ce sont nos modes de fonctionnement. Le réchauffement global ne vient que s’ajouter à cela.

Dans cette logique, l’agriculture de conservation des sols va dans le bon sens. En intégrant des bandes enherbées par exemple, on réduit l’effet albédo [capacité du sol à réfléchir le rayonnement solaire, ce qui augmente l’effet de serre, NDLR]. L’agriculture raisonnée est aussi une solution. Sans oublier tous les paysans qui prennent le temps de basculer en bio. Il faut que tout le monde aille dans le bon sens.

Faut-il changer nos productions agricoles, notre alimentation ?

Il faut sortir de la viande. On n’a pas choix. Si demain la Chine se met à manger de la viande, nous n’aurons pas suffisamment de terres arables, ne serait-ce que pour poser le bétail. En Europe, 70 % des terres sont occupées par le bétail. Heureusement que les Indiens mangent du poulet, un animal qui consomme peu d’eau.

L’autre problème, c’est le maïs. Le Chili en a exploité massivement, avant d’arrêter il y a 12 ans en raison des sécheresses engendrées par cette plante tropicale. Le maïs a besoin d’eau en août et d’irrigation en surface, il ne peut pas faire autrement que de vider les rivières et les nappes. Or, l’Europe a aidé massivement cette culture avec la PAC. C’était le jack pot il y a encore quelques années, l’or jaune comme l’appelaient les agriculteurs.

Nous pourrions remplacer le maïs par le sorgo, une espèce qui adore la chaleur et qui n’a pas de grands besoins en eau. Cette plante répondrait à la demande de la filière animale, majoritaire, mais pas aux autres demandes, le maïs étant également utilisé dans l’industrie des films plastiques et pharmaceutique. C’est pour cela que nous continuons.

L’agriculture, c’est aussi la production de matières premières pour le textile. Un secteur très consommateur. Pour produire un seul kilo de coton, il faut environ 10 000 litres d’eau. Pour un simple t-shirt, c’est 2 500 à 3 000 litres…

Pour alimenter nos 18 collections de vêtements par an, on cultive du coton massivement dans des zones où il n’y a pas d’eau, en Afrique ou en Inde. En prélevant dans des nappes qui s’assèchent. Pour certaines d’entre elles, il reste 10 ans de réserve. Le pire, c’est qu’on ira ensuite prélever dans les puits des petits agriculteurs locaux pour alimenter les usines textiles. Une eau transformée en colorants qui pollue les nappes et les cours d’eau en aval, et intoxiquent des populations. Tout cela pour avoir nos 18 collections annuelles. On est loin de savoir à quel point nos T-shirt tuent des populations entières et des écosystèmes. Tout ce que nous consommons a un impact colossal sur les ressources en eau.

Il existe de nombreux outils juridiques qui sont censés protéger la ressource, à l’échelle européenne – la directive-cadre sur l’eau de 2000 (DCE) -, et française – la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 (LEMA). Que peut-on faire de plus ?

La directive-cadre sur l’eau prévoyait un bon état écologique des cours d’eau en 2025. Aujourd’hui, 40 % de nos masses d’eau sont dans un état médiocre. C’est donc un échec. Nous savons tout, nous avons toutes les solutions, nous sommes censés avoir une politique hyperactive depuis 20 ans. Et pourtant rien ne se passe. Nos politiques publiques sont complètement dictées par les lobbies. Lorsque je vois que la France autorise l’envoi de produits phytosanitaires en Afrique alors qu’ils sont reconnus comme dangereux par l’Europe, je me dis que nous avons vraiment besoin d’un réveil global.

En ce qui concerne la gestion des risques, la France a bien avancé par rapport au reste du monde sur le risque d’inondation. Mais nous sommes encore loin d’une politique d’adaptation aux risques de sécheresses et canicules. Je réfléchis en ce moment à un modèle pour financer la reconversion des terres via les crédits carbones. Les GAFAM [géants du net] et tous les grands pollueurs ont besoin de vendre massivement leur carbone. Et nous avons besoin d’argent pour financer la transition vers une agriculture saine, qui préserve les ressources en eau.

 

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