dimanche, mars 12, 2023

Gestion de l’eau : plongée en Absurdistan

D
ans son rapport annuel 2023, la Cour des comptes et ses treize chambres régionales des comptes s'intéressent à la gestion de l'eau. Elles ont lancé une vaste enquête auprès des services centraux et d'un large échantillon de services déconcentrés de l'État, collectivités territoriales, groupements de communes et établissements publics nationaux et locaux contribuant à la gestion de l'eau. Leurs conclusions soulignent que « l'efficacité de la politique de l'eau souffre de la complexité et du manque de lisibilité de son organisation, laquelle doit être structurée et clarifiée autour du périmètre des sous-bassins versants ».

Ces travaux sont publiés alors que, dans certains coins de France, la consommation de l'eau excède, sur des périodes de l'année de plus en plus longues, nos capacités. Pour tenter d'endiguer le problème, les autorités déploient d'ailleurs de plus en plus des mesures de restriction. Mais qu'il est dur de s'y retrouver sur le périmètre d'action des uns et des autres, car ils sont particulièrement nombreux !

Jugez un peu : ministères, directions d'administration centrale et ses services déconcentrés, établissements publics nationaux, instituts de recherche, tous les niveaux de collectivités territoriales et différentes formes de groupements de collectivités, tous ont leur mot à dire sur la définition et la mise en œuvre des politiques de l'eau.

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Intérêts divergents

« La gestion quantitative de l'eau est à la fois déconcentrée et décentralisée, gérée à l'échelle des bassins hydrographiques puis au niveau local. L'État, à travers les Dreal, les agences de l'eau et les directions départementales des territoires (DDT), joue un rôle très important dans sa définition, son financement et sa mise en œuvre, alors qu'au niveau local aucune collectivité territoriale n'est identifiée comme cheffe de file », rappelle la Cour.

Pour complexifier le tout, les administrations de l'État ne sont pas sur la même longueur d'onde concernant la gestion des ressources hydrologiques du pays. Prenons le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Ce dernier privilégie l'atteinte des objectifs de bon état des masses d'eau fixés par la directive-cadre sur l'eau à l'échéance 2027. Mais, de son côté, le ministère de l'Agriculture vise à préserver les possibilités de prélèvement pour les agriculteurs malmenés par les épisodes de sécheresse. Quant au ministère de la Santé, il se concentre sur la qualité sanitaire de l'eau potable. Il y a aussi les ministères de l'Industrie et de l'Énergie qui donnent de la voix sur le sujet. Ces deux institutions visent bien sûr à préserver les intérêts des secteurs d'activité dont elles ont la tutelle. Conséquence de ces divergences : « Les décisions prises par les représentants de l'État sur le territoire sont le fruit de compromis entre ces intérêts et priorités contradictoires », notent les Sages de la rue Cambon.

De plus, au niveau local, les situations relatées sont ubuesques, car un bassin hydrographique s'étend souvent sur plusieurs régions et le territoire d'une région peut recouper plusieurs bassins hydrographiques. Un sous-bassin versant peut s'étendre sur plusieurs départements et le territoire d'un département être partagé entre plusieurs sous-bassins versants.

Des préfets à la pelle

Ainsi assiste-t-on à une prolifération d'acteurs. « Les préfets de région et de département sont en lien avec plusieurs préfets coordonnateurs de bassin et doivent composer avec des réalités politiques locales diverses, voire contradictoires, qui sont autant de motifs d'apporter des solutions différentes dans un territoire administratif donné à des problèmes de même nature », indique la Cour.

Il va sans dire que ce cadre ne facilite pas la coordination des services déconcentrés de l'État. Les préfets coordonnateurs de bassin maîtrisent rarement la diversité des situations de vastes bassins hydrographiques. Parfois, ils font face à des préfets de départements limitrophes qui prennent des mesures contradictoires pour un même cours d'eau. C'est pour cette raison d'ailleurs qu'une nouvelle procédure de gestion de crise a été imaginée en 2019. Elle permet au préfet coordonnateur de bassin de désigner des préfets coordonnateurs de sous-bassins versants interdépartementaux. Complexité quand tu nous tiens ! C'est ainsi que le préfet coordonnateur du bassin Adour-Garonne a désigné les préfets de département coordonnateurs interdépartementaux des principaux cours d'eau du bassin hydrographique.

« Pour surmonter l'inadéquation entre la carte administrative de l'État et celle des organismes de gestion de l'eau, des dispositifs de coordination ont été mis en place », précise la Cour des comptes. Ainsi, les missions interservices de l'eau et de la nature coordonnent au niveau départemental les services de l'État qui ont pour mission la gestion et la police de l'eau ; ils concoctent aussi un plan de contrôle interservices. Mais cela ne suffit pas toujours pour mettre tous les acteurs d'accord, soulignent les Sages.

Des données partielles

Sur le plan pratique, la connaissance même d'un cours d'eau ou d'une nappe est partagée entre diverses administrations : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, agences de l'eau, BRGM, OFB, entités locales, etc. « Les contrôles réalisés par les chambres régionales des comptes montrent à quel point l'information dont disposent les directions départementales des territoires est fragmentaire et peu fiable. Les systèmes d'information utilisés pour remonter les contrôles ne sont pas utilisés par tous les partenaires et contiennent des données partielles et discordantes avec les bilans des missions interservices de l'eau et de la nature », explique la Cour.

À LIRE AUSSICanicules, sécheresse, orages… l'été record de 2022, avant-goût du futur Quant à l'État plus précisément, il fait face à des difficultés réelles. Dur, dur pour lui de faire respecter les règles du jeu qu'il détermine ! En effet, d'un côté, il défend une logique administrative (régions, départements) et, de l'autre, une logique hydrographique (sous-bassins versants). De plus, ses moyens pour assurer la police et le contrôle sont insuffisants. L'intrication entre ses responsabilités et celles des collectivités locales rend leur répartition incompréhensible et contribue à la dilution des responsabilités de chacun.

Face à ce mille-feuille, que fait le gouvernement ? Il a missionné quatre inspections afin de tirer les leçons de la crise de l'été 2022, marquée par une sécheresse exceptionnelle. L'idée ? Qu'elles formulent des propositions d'amélioration de la gouvernance territoriale de l'eau et de la coordination des services de l'État.

Une lente prise de conscience

C'est que cela devient en effet urgent, car les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. 56 % des masses d'eau de surface et 33 % des masses d'eau souterraine ne sont pas en bon état au sens de la « directive communautaire sur l'eau ».

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« Les données disponibles montrent également que 43,3 % des masses d'eau de surface sont affectées par des pollutions diffuses (nitrates, pesticides, notamment), 25,4 % par des pollutions ponctuelles et 19,4 % par des prélèvements d'eau excessifs, et que 10,7 % des masses d'eau souterraine sont affectées par des prélèvements excessifs. En 2027, 67 % des masses d'eau de surface (7 646 sur 11 407) et 40 % des masses d'eau souterraine risquent de ne pas atteindre le bon état au sens de la directive-cadre européenne », avancent les Sages.

Ces derniers temporisent en indiquant qu'il ne faut pas accabler que notre organisation administrative du pays. La situation « s'explique aussi par la lenteur de la prise de conscience de l'importance des problèmes, la difficulté à faire évoluer les comportements, la rémanence de pollutions qui implique de longs délais entre l'action et les résultats, les effets du changement climatique ». Soit.

lepoint.fr | Beatrice Parrino

 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

En pays de Fayence, ce n'est pas gagné d'avance!