Les objectifs de réduction d’artificialisation devraient s’adapter au désir des Français de vivre à la campagne, suggère, dans une tribune au « Monde », Jean-Marc Esnault, directeur du campus agricole The Land.
Les chiffres ont la dent encore plus dure à l’encontre des campagnes. Entre 2006 et 2014, une augmentation de 3 % des ménages en zone rurale a contribué à 10 % de la consommation totale de foncier, alors que, sur la même période, une augmentation de 53 % des ménages en zone urbaine a représenté 31 % des superficies artificialisées. La faute à la maison individuelle, qui est, et de loin, le mode d’habitat le plus répandu à la campagne, un habitat particulièrement consommateur de foncier.
Ces constats plaident donc pour un effort de tous les territoires, y compris – et peut-être même surtout – de la campagne ! Le gouvernement l’a entendu de cette oreille, demandant indistinctement une réduction de moitié du rythme de la consommation d’espaces partout en France dans les dix prochaines années, pour arriver, en 2050, à zéro artificialisation nette. Une fois n’est pas coutume, la société est mise sur les rails pour les trente prochaines années à travers la loi Climat et résilience.
Il y a fort longtemps qu’on ne faisait plus véritablement d’aménagement des territoires en France, la dernière grande politique en ce domaine datant du général de Gaulle avec les métropoles d’équilibre. Le ministère, autrefois nommé ministère de l’aménagement du territoire, est même devenu, au fil du temps et des ambitions perdues, ministère de l’égalité, puis de la cohésion des territoires. Autrement dit, on est passé de l’action à l’intention. Il y a des signes qui ne trompent pas.
La question est maintenant de savoir si les rails en question sont adéquats. La loi Climat et résilience fait fi de deux considérations, et non des moindres. Le rêve d’une majorité de nos concitoyens qui, passé 30 ans, lorsqu’ils sont en ménage et avec des enfants, aspirent à vivre à la campagne, plutôt dans une maison individuelle et plutôt avec un petit jardin. A titre d’exemple, Paris est une ville dont la population est composée à plus de 50 % de célibataires et d’une majorité de jeunes entre 25 et 29 ans. Le Covid-19 et les pics de chaleur ne feront qu’accentuer le phénomène observé ces dernières années de l’attrait des urbains pour des départs vers les campagnes.
Réconcilier les Français
Faut-il briser ce rêve et persister dans une logique d’hyperconcentration des activités et des hommes dans les métropoles ? En vérité, c’est bien de cela qu’il s’agit. Lorsqu’on veut appliquer le même pourcentage de réduction des espaces artificialisés aux villes et aux villages, on entérine de fait le statu quo, donc le déséquilibre territorial.
Dans certaines petites communes où il y a eu une dizaine de maisons construites ces dernières années, on demande aux maires de ne pas autoriser la construction de plus de cinq maisons sur les dix ans à venir, les empêchant d’accueillir de nouvelles populations, de faire revivre le petit commerce, de créer les conditions pour faire venir les entreprises sur le territoire. Dans le même temps – et c’est là que s’insinuent les disparités, voire les injustices –, la loi relative au Grand Paris fixe un objectif de construction de 70 000 logements par an.
Est-ce le prix à payer pour préserver notre environnement ? Pas si sûr. Dans notre société gouvernée de manière très cartésienne, on oublie trop souvent que les chiffres ne constituent pas une vérité à eux seuls. Il conviendrait de faire un pas de côté pour se demander si le mode de vie en ville n’est pas plus générateur d’atteintes à l’environnement que le mode de vie à la campagne, et si moduler cette loi sur la non-artificialisation des sols en fonction des territoires ne serait pas la meilleure chose à faire.
Ne faudrait-il pas la coupler avec d’autres politiques ? En réconciliant les Français autour d’un projet de société compatible avec leur rêve de maison individuelle : le développement du numérique ou du ferroviaire dans nos campagnes, par exemple, permettrait à la fois de progresser en matière d’écologie et de répondre à la volonté des ménages de plus de campagne. De Gaulle disait : « On ne fait rien de sérieux si on se soumet aux chimères, mais que faire de grand sans elles ? » Sur certains enjeux, pour avancer, il convient de réinjecter une part de rêve dans la société.
Jean-Marc Esnault est directeur général du campus de formation agricole et de réflexion sur la ruralité The Land, et auteur du livre Bienvenue dans la nouvelle ruralité (L’Harmattan, 210 pages, 21,50 euros)
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