vendredi, mars 10, 2023

Eau Niveau des nappes phréatiques, débits des cours d'eau, restrictions d'usage...

 Tout comprendre au suivi très stratégique de la sécheresse en France 
Le début de l'année 2023 a été peu généreux en eau, ce qui laisse craindre une situation tendue pour l'été à venir.

La sécheresse hivernale préoccupe les spécialistes. Le 23 février dernier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a réuni un Comité d'anticipation et de suivi hydrologique (Cash), un mois plus tôt que d'ordinaire. Autour de la table, des représentants de Météo France, des spécialistes des nappes phréatiques ou des cours d'eau… Qu'ils scrutent le ciel, les rivières ou les sols profonds, tous ces experts sont venus avec le même constat : le début de l'année 2023 a été peu généreux en eau, ce qui n'augure rien de bon pour l'été à venir.

Désormais, les regards sont portés sur les précipitations des prochaines semaines, susceptibles de corriger le tir et sauver l'Hexagone d'un été particulièrement sec. Cette pluie permettrait de grossir les cours d'eau, de recharger les nappes phréatiques… et d'éviter un déluge de restrictions, redoutées par les agriculteurs. Quels sont les indicateurs qui sont scrutés par les experts et les autorités ? Comment les autorités locales et nationales se mettent en ordre de bataille ? Où est-il possible de surveiller en temps réel ces évolutions ? Alors que le gouvernement doit également présenter un "Plan Eau" fin mars, franceinfo fait le point et vous donne des conseils pour suivre le phénomène.

Quels sont les principaux indicateurs à scruter ?

Les premières données observées, comme cela a été le cas lors du comité Cash du 23 février, concernent les précipitations. Météo France recense chaque jour les cumuls de pluie, et les voyants étaient au rouge à la fin février. Il n'a pas plu assez, l'Hexagone ayant connu une période de 32 jours consécutifs sans précipitations significatives. Météo France calcule aussi un indice d'humidité des sols à l'échelle du pays. Au 18 février, "la totalité des départements affichent un niveau (…) sous la normale", et les sols sont "dans un état habituellement observé mi-avril", note le document présenté aux participants du comité Cash, consulté par franceinfo. Enfin, le service météorologique scrute le niveau du manteau neigeux et son équivalence en eau : là encore, l'enneigement fin février était déficitaire sur les massifs pyrénéens et alpins.

D'autres experts suivent ensuite de près l'état des cours d'eau. Au niveau local, les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) analysent les données de 1 040 stations de mesure postées aux abords des rivières ou fleuves. Elles permettent de savoir si un cours d'eau a un débit inférieur ou non à la normale. Par ailleurs, de juin à octobre de chaque année, l'Office français de la biodiversité (OFB) lance une campagne d'observation des cours d'eau : ses agents réalisent des constats visuels sur l'état des rivières pour appuyer les mesures des Dreal. Cela permet de savoir, sur plus de 3 000 points d'observation, si un cours d'eau est en écoulement normal ou en assec.

Troisième domaine scruté de près : les nappes phréatiques, gigantesques réservoirs naturels d'où provient près des deux tiers de l'eau que nous consommons. Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dispose d'environ 1 600 points de mesures pour surveiller heure par heure le niveau de ces nappes. Nappes superficielles, souterraines… les spécificités géologiques de chaque zone font de l'analyse de ces données un travail complexe. En janvier 2023, 60% des points de mesure ont enregistré des niveaux en dessous des normales.

Enfin, de la même manière que Météo France publie des prévisions météorologiques, des modèles sont préparés pour estimer le comportement à venir des nappes phréatiques. C'est notamment le rôle du dispositif Aqui-FR, qui permet "d'anticiper les périodes de crises, ce qui est un enjeu fort pour gagner en efficacité", indique à franceinfo le ministère de la Transition écologique. Aqui-FR montrait, fin février, des premiers signes de "persistance d'une situation nettement plus sèche que la normale", particulièrement marquée dans le nord de la France. 

Comment les autorités décident-elles de prendre des mesures de restrictions ?

Météo France, BRGM, OFB, Dreal… Equipé de tous ces indicateurs et analyses, l'Etat suit la sécheresse de près. Au niveau local, ce sont les préfectures qui sont en première ligne des décisions. Chaque département réunit en effet des comités "ressource en eau" (CRE), rassemblant des représentants des usagers de l'eau : syndicats, agriculteurs, associations… Plus de 500 CRE se sont tenus au cours de l'été 2022. C'est au sein de ces comités que s'expriment les clivages, entre enjeux économiques (pour l'agriculture notamment) et impératifs de sobriété. "Dans les CRE, ça ferraille assez fort", résume un expert du sujet, en charge du suivi des cours d'eau dans l'ouest de la France. 

Si l'état de la ressource en eau dans un département est inquiétant et si certains seuils sont dépassés, le préfet peut prendre un arrêté restreignant l'usage de l'eau. Décidés sur un périmètre précis et pour une durée déterminée, ces arrêtés ont différents degrés de gravité. Le niveau 1, dit "de vigilance", ne consiste qu'en une incitation à économiser l'eau. Les seuils d'alerte (niveau 2) et d'alerte renforcée (niveau 3) impliquent, eux, des restrictions de prélèvements d'eau, concernant des usages agricoles ou domestiques (arrosage de jardin, lavage de voiture, etc.), les vidanges de piscines, ou le nettoyage des façades, toitures, ou trottoirs. Dans les zones classées en crise (niveau 4), tout prélèvement en eau non prioritaire (hors santé, sécurité civile, eau potable, salubrité) est interdit. Le détail des restrictions par niveau d'alerte est résumé par le gouvernement sur le site du ministère de la Transition écologique.

L'été dernier, 93 départements ont connu de telles mesures de restriction. Mais il arrive que ces décisions soient prises quinze jours après le dépassement des seuils critiques, relève La Gazette des communes. C'est pourquoi le ministre Christophe Béchu a appelé les préfets à prendre des mesures rapidement, "sans avoir la main qui tremble". Les représentants de l'Etat à l'échelle départementale ont déjà commencé à réunir leur CRE pour préparer le terrain à d'éventuelles restrictions.

Au niveau national, le suivi de la sécheresse est confié à la Direction de l'eau et de la biodiversité, qui dépend du ministère de la Transition écologique, en lien avec les experts de Météo France, du BRGM, ou encore de l'OFB. Le comité Cash est le lieu d'échange entre tous ces acteurs, où est dressé un état des lieux des conséquences de la situation hydrologique sur les usages et les milieux naturels. Il se réunit dès que la situation l'impose. Enfin, en cas de situation particulièrement tendue, une cellule de crise peut s'ouvrir au sein du ministère, comme cela a été le cas lors de l'été 2022. 

Où peut-on suivre en temps réel l'évolution de la sécheresse ?

Sur ce sujet, la France accuse du retard. Les outils le plus pertinents pour comprendre les dernières évolutions de la ressource en eau en France sont pour l'heure mes bulletins nationaux de situation hydrologique, publiés chaque mois sur le site de l'Office français de la biodiversité. Truffés de graphiques, cartes et analyses détaillées, ils compilent les dernières observations sur les précipitations, les débits des cours d'eau, les niveaux de remplissage des barrages et réservoirs d'eau… Le seul inconvénient de cette publication est qu'il faut attendre plusieurs semaines pour obtenir une nouvelle analyse.

Pour suivre en temps réel le phénomène, il n'existe pour l'instant pas de site gouvernemental comme il a pu en exister pour le suivi du Covid-19. L'outil qui s'en rapproche le plus, Info-secheresse.fr, a été développé par une start-up, Imageau, filiale du groupe Saur. A partir des données publiées par le BRGM et les Dreal entre autres, il permet de consulter une carte de France où les différents bassins ou départements sont colorés en fonction des mesures réalisées sur la zone. Par exemple, si une majorité de points de mesure est déficitaire, le bassin sera rouge. Il est aussi possible de constater l'évolution temporelle de chaque point, après avoir créé gratuitement un compte. Si ce site a le mérite de rendre les données facilement accessibles, plusieurs experts interrogés ont estimé qu'il souffrait de quelques simplifications, notamment en prenant en compte des points de mesures peu représentatifs de certaines nappes phréatiques.

Dernier enjeu : suivre les restrictions décidées dans votre département. Celles-ci sont prises localement, et doivent être signalées par la préfecture sur son site. Mais elles sont aussi censées être remontées au ministère par les préfets. C'est l'utilité du site Propluvia, qui affiche une carte de France où vous pouvez consulter les arrêtés de restrictions en vigueur, ainsi que les zones précises concernées dans votre région. Problème : ce site a eu des ratés une bonne partie de l'été dernier. "Il y a vraiment de très gros efforts de communication à faire au sein de l'Etat pour pouvoir passer des messages beaucoup plus clairs dans la population", déplore Florence Denier-Pasquier, secrétaire nationale de France Nature Environnement.

Il existe tout de même des sites permettant de suivre les différents indicateurs au niveau régional. Plusieurs Dreal ont mis en place de telles plateformes, comme dans les Pays de la Loire, en Bretagne, ou encore dans le bassin Rhône-Méditerranée. Mais au niveau national ? Le BRGM indique travailler sur un site public pour suivre le niveau des nappes phréatiques. Et après un loupé en 2022, le site de Propluvia devrait aussi connaître une importante mise à jour dans les prochains mois. A temps pour l'été prochain ?

Source France Info par Brice Le Borgne France Télévisions

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