mardi, mars 05, 2019

Taxe, redevance: les Français en colère contre la fiscalité des déchets

ENQUÊTE - Dans plusieurs villes, des collectifs se sont créés pour contester le montant de la facture d'enlèvement des ordures ménagères, jugé excessif ou opaque. Les collectivités mettent en avant des enjeux fiscaux et environnementaux complexes. Le rôle de l'État est aussi pointé du doigt.
Ils ont décidé de lancer la «guerre des poubelles». Partout sur le territoire, des Français s'organisent pour contester la facture d'enlèvement de leurs ordures ménagères. Des Landes à la Normandie en passant par la Sarthe ou le Loiret, où le tribunal d'instance de Montargis rendra une décision sur le sujet le 15 mars, le mouvement prend de l'ampleur. «On peut parler de racket et d'escroquerie en bande organisée», fulmine Jacques Margalef, président de l'Association France Assainissement Eau (AFAE), qui mène le combat dans les environs de Bordeaux. «Les Français ne comprennent rien à leur taxe ou leur redevance. Tout ce qu'ils constatent, c'est que le montant flambe et ils en ont marre», affirme-t-il.

Aujourd'hui, les collectivités ont trois possibilités pour financer le ramassage et le traitement des déchets: la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), la redevance d'enlèvement des ordures ménagères (REOM) ou leur budget général. La TEOM concerne toute propriété soumise à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Son montant, sans rapport avec la composition du foyer, dépend de la valeur locative du bien (les locataires la payent dans leurs charges). La redevance, qui fait l'objet d'une facture, prend la forme d'un forfait par foyer ou d'une tarification basée sur la combinaison d'une part fixe, correspondant aux frais généraux, et d'une part variable qui dépend du nombre de déchets produits par le foyer. À ce jour, 85% des collectivités ont opté pour la TEOM, 10% pour la redevance, les autres financent ce service sur leur budget général.

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La colère des Français se concentre surtout sur la TEOM. Les collectifs dénoncent une fiscalité indolore qui permet aux collectivités de se constituer de la trésorerie ou de financer des services qui n'ont rien à voir avec les ordures. Selon la DGFIP, depuis 2014, pas moins de 5000 recours ont à ce titre été déposés contre la TEOM. Un peu plus de 2000 sont toujours en cours. Souvent, la justice est allée dans le sens des collectifs, guidée par le Conseil d'État. Dans une décision datant de mars 2018, sur une affaire opposant le distributeur Cora à la ville de Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), le Conseil a rappelé aux collectivités que «la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'a pas le caractère d'un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l'ensemble des dépenses budgétaires de la commune». Cet objectif leur a été rappelé plus récemment, dans une décision de juin 2018 concernant Auchan et la commune d'Aubière (Puy-de-Dôme).

L'État ne remboursera plus

De nombreux collectifs se sont engouffrés dans la brèche. C'est le cas de la Canol, une association de défense des contribuables vieille de 20 ans, qui conteste chaque année en justice le taux de la TEOM à Lyon. Son combat est payant puisque depuis 2011, le taux de cette taxe est systématiquement invalidé par la justice. En 2015, le juge confirme même «une disproportionnalité du produit de la taxe par rapport au coût du service». Des entreprises, qui avaient réclamé un remboursement intégral des sommes versées, ont obtenu gain de cause. La Canol a décidé de mener une action groupée pour obtenir le remboursement pour les particuliers. «Depuis 2011, le Grand Lyon a extorqué 400 millions d'euros de trop aux contribuables», assure son vice-président, Michel Vergnaud.

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«Le problème, c'est qu'il n'y a pas de texte législatif auquel les collectivités peuvent se référer au moment de prendre leur décision sur la TEOM. Les dépenses à inclure ou non dans le calcul ne sont pas précisées. Or c'est le sujet de contestation principal. Tout cela place les collectivités dans une insécurité juridique», déplore Gérard Claisse, rapporteur d'une mission dédiée à la TEOM, installée fin 2018 à Lyon. Le sujet est devenu si explosif pour les collectivités qu'un article du dernier PLF lui a été consacré. Il précise un peu plus le périmètre des dépenses couvertes par les recettes de la TEOM («celles liées à la définition et aux évaluations des programmes locaux de prévention des déchets»). Mais surtout, il indique qu'à compter du 1er janvier 2019, le Trésor ne remboursera plus les contribuables ayant obtenu gain de cause dans ce type de contentieux. Les collectivités devront assumer financièrement ce risque. Nombres d'entre elles sont donc rentrées dans le rang. C'est le cas de Lyon. La métropole de Gérard Collomb a fait le choix cette année de baisser le taux de sa TEOM et de revoir son mode de calcul. «Notre action commence à porter ses fruits, puisque nous venons d'obtenir une économie de 23 millions d'euros pour les contribuables», se félicite la Canol.
 Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, association représentant les collectivités, est dépité par la multiplication de ces procédures. «Les gens oublient qu'au final, l'argent ainsi collecté sert à financer des services publics qui n'ont pas de taxe affectée. Ce n'est pas du vol, on ne met pas l'argent aux Caïmans!», s'agace-t-il. S'il admet qu'il y a eu des dérives, il assure que les collectivités font comme elles peuvent pour compenser la baisse constante de recettes, comme celles induites par la suppression prochaine de la taxe d'habitation. Par ailleurs, le coût du service ne cesse de flamber. «Il y a 30 ans, la gestion des déchets n'était pas très chère. Aujourd'hui, il y a une collecte sélective, un centre de tri, du recyclage, de la valorisation. Ce n'est pas le même coût qu'avant», explique-t-il. «Mais surtout, ce service est surtaxé par l'État. La collecte et le traitement des déchets coûtent en moyenne 100 euros par habitant. Sur ces 100 euros, il y a 25% de taxes», dénonce-t-il.

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La note va devenir d'autant plus salée pour les Français que l'État souhaite pousser les collectivités à inclure dans la TEOM une part incitative (TEOMi). Pour les y encourager, il les autorise à augmenter la première année cette taxe de 10% maximum et s'engage en contrepartie à baisser ses frais de gestion à 3%. «La TEOMi a des avantages: la stabilité financière pour les collectivités et la part variable qui éveille les consciences», assure Nicolas Garnier. Mais ce dernier l'admet, le système a ses limites et risque à nouveau de déclencher une levée de boucliers. «La limite, ce sont les 50% de déchets qui ne sont pas recyclables. Comment faire alors pour profiter de la baisse de la facture liée à la part incitative?», s'interroge-t-il. «Il y a aussi cette pression fiscale que l'État doit lever s'il veut réellement réduire les déchets et les coûts de leur traitement», estime l'Amorce. En attendant, le seul changement qui permettra d'alléger la facture doit venir des Français, assure l'association. «Chacun doit changer ses habitudes. On achète beaucoup de choses mais on jette aussi beaucoup. Or la fin de vie des objets à un coût. Les Français doivent en avoir conscience», rappelle Nicolas Garnier.

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